La ferveur des images
Par Giorgio Seveso (2001)

(extrait)

[…] Dans l’enchevêtrement des coups de pinceau qui tracent leur propre itinéraire, aussi trouble que lancinant et persuasif, produit par des renvois expressionnistes les plus acérés, se dénouent dans ces toiles les raisons d’un regard précis et impitoyable qui a l’extraordinaire cohérence et, disons même en ces temps d’une avant-garde triomphante et totalitaire, l’inhabituel courage d’être irrémédiablement et jusqu’au bout, un regard figuratif. C’est-à-dire un regard qui, même dans sa lancinante quête d’individualité, entre sans hésitation dans la continuité d’une tradition picturale précise, celle justement de la voie de l’expressionnisme européen qui venant de Permeke et Soutine peut arriver jusqu’à Giacometti et Varlin.

[…] Si Bordin voit par exemple une vague, ou les plis et les replis des draps d’un lit défait, ou la majesté escarpée d’un mont de pierres et d’ombres profondes, c’est seulement leur apparence littérale qu’il perçoit par la mémoire et par le regard. D’un coup, l’instinct vient pénétrer les traces et le trame, en absorbe l’essence, en assimile la structure décharnée jusqu’en ses intériorités microscopiques les plus cachées, pour ensuite les restituer sur la toile comme une sorte de métabolisation robuste, solide, explosive. Ce n’est donc plus une montagne, un lit défait, une vague dans la tempête que nous voyons. Mieux, ce n’est plus seulement ce modèle, posé sous l’image comme une ébauche préparatoire qui en recréerait la dimension physique. C’est au contraire - et en plus - son empreinte lyrique, profondément transformée, profondément transubstantifiée, tirée à l’extrême de ses significations, de sa présence comme donnée poétique autonome, monade lyrique sur laquelle repose, croît et se résume l’émotion de l’auteur.

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